Le texte qui suit a été écrit en 1987 .
Proposé à l'époque à différents journaux, cet article n'a finalement jamais été publié.

Il reflète un point de vue sur le sujet, compte tenu des informations disponibles à cette époque.

Il est aussi publié sur le site de Pierre, que je remercie : aernav.free.fr



 

Si je vous dis « AEROTRAIN », à quoi pensez-vous ?

 

Cette question, je l’ai souvent posé au cours de mon enquête et j’ai reçu beaucoup de réponses fausses et parfois fantaisistes. Les français qui étaient en âge de s’intéresser à l’actualité entre 1965 et 1974 devraient s’en souvenir. En effet, ce nom désigne un procédé appliqué à un moyen de transport, rendant celui-ci révolutionnaire.

Il faut, pour commencer, présenter l’homme qui, avec son équipe, a imaginé et développé ce procédé.

Jean BERTIN, polytechnicien, fonda après avoir été ingénieur à la SNECMA, la société de recherche et de développement qui porte son nom : ceci dans le but de jeter un pont entre la science et la technologie industrielle.

 

L’activité de la société débuta dans la réalisation de silencieux pour moteurs à réaction.

C’est en 1957, au cours de la mise au point d’un de ces équipements, que Louis DUTHION, ingénieur de la société, mit en évidence un phénomène imprévu et pourtant connu en France depuis 1910 : l’effet de sol.

Découvert à la fin du XVIIIème siècle par le savant anglais YOUNG, il ne fut utilisé qu’en 1916 dans la construction d’un bateau à coussin d’air qui atteignit 75 km/h.

C’est en 1958 que la société BERTIN fut informée qu’un anglais nommé COCKERELL venait d’appliquer cette découverte, en tant qu’insulaire, à un véhicule amphibie : il y avait là découverte, ou plutôt redécouverte simultanée.

 

L’équipe française, quant à elle, se tourna vers les transports terrestres.

Les recherches de partenaires financiers n’ayant pas abouti, ce sont les Forces Armées qui commandèrent un véhicule capable de se déplacer sur des sols non préparés. Il fut baptisé «TERRAPLANE BC4» et effectua ses premiers essais le 7 janvier 1962.

C’est suite à cette expérimentation que l’équipe BERTIN étudiera les jupes souples. Leur mise au point donnera une sérieuse avance à l’équipe. En effet, ainsi équipé, un véhicule circulant sur un sol parfaitement plan, peut se déplacer à une hauteur de vol très faible. D’où l’idée d’une voie préparée assurant, en plus de la sustentation, le guidage. La forme du T inversé ayant été retenue pour des questions de sécurité et de mise en œuvre, un prototype à échelle réduite fut réalisé. Long de 1,25m pour 0,25m de large, alimenté électriquement, il se déplaçait sur une voie surélevée d’une vingtaine de mètres de longueur.

A partir de février 1963, les essais commencèrent devant bon nombre de personnalités françaises et étrangères. Ces essais donnant entière satisfaction, la réalisation d’un prototype pouvant emporter quelques personnes devenait indispensable.

Les prospections débutèrent avec la SNCF et la RATP, en vue d’une application commerciale. La RATP fit rapidement savoir que seul le système « roue sur rail » convenait à ses besoins. Quant à la SNCF, après une étude plus poussée, elle indiqua qu’elle n’était pas intéressée par un système mettant, par exemple, Paris à 1h30 de Lyon.

Les promoteurs du concept s’adressèrent à un tout nouvel organisme : la Délégation à l’Aménagement du Territoire, dirigé par Olivier GUICHARD. Celui-ci fut séduit par l’idée et débloqua les crédits pour la réalisation d’un véhicule, à l’échelle ½, pouvant emporter quelques passagers.

Le Ministère des Transports ne pourra, faute de crédits pour la recherche, soutenir l’équipe de « la Société d’Etude de l’Aérotrain » créée en avril 1965.

Dès le mois de mai de cette même année, les études et la construction de la voie allaient bon train. Etablie sur un tronçon désaffecté, sans passage à niveau, d’une des lignes Paris-Chartres, elle est constituée de sections préfabriquées en béton, posées sur des plots à quelques dizaines de centimètres du sol.

Quant au véhicule expérimental, il est terminé le 16 décembre 1965, alors qu’un seul kilomètre de voie était disponible sur les 6,7 prévus. Néanmoins, il fut transporté sur le site, en vue d’y réaliser un essai, à la fin décembre.

L’AEROTRAIN 01, d’une longueur de 10,11m pour un poids de 2,6 tonnes, est guidé et sustenté par l’air légèrement comprimé par deux ventilateurs entraînés par deux moteurs Gordini de 50 Ch chacun. La propulsion étant assurée par un moteur d’avion de 260 Ch et une hélice tri-pales à pas réversible.

Le poste de pilotage accueille deux techniciens et la cabine, placée derrière, quatre passagers.

Après avoir posé l’engin à cheval sur la voie et avoir démarré les moteurs Renault, celui-ci se souleva, laissant échapper l’air par un intervalle de 2 à 3 mm, créant ainsi le coussin d’air. Pour le déplacer, une simple poussée de la main suffisait puisque l’AEROTRAIN ne touchait pas du tout la voie.

Le moteur de propulsion fut mis en route et le 01 effectua un aller et retour sur, ou plutôt au dessus du kilomètre bétonné. Il atteignit sans mal 90 km/h, vitesse élevée sur une si courte distance.

Il fallut attendre mi-février pour que la voie soit terminée.

L’attente parut longue à l’équipe, puisqu’il n’y avait aucune modification à apporter, l’engin fonctionnant parfaitement.

Le 21 février, la voie et le prototype 01 furent officiellement inaugurés. Il atteignit ce jour là 100 km/h devant toute la presse et les 200 km/h quelques jours plus tard, sans avoir subi de modifications.

« L’avion sans ailes », comme l’a surnommé Jean BERTIN, fut même présenté en Eurovision. A cette époque, la SNCF parlait d’élever la vitesse de certains trains de luxe de 140 à 160 km/h, alors que l’on pouvait voyager à 200 km/h à bord d’un engin simple et peu coûteux.

Les visiteurs se succédaient à Gometz où l’AEROTRAIN fonctionnait tous les jours. Ministres, journalistes, simples curieux, tous voulaient voir le train de l’avenir...

C’est dans le but de vérifier la tenue des coussins d’air à de plus hautes vitesses que le 01 fut équipé d’une fusée d’appoint conjointement au moteur d’avion, portant la puissance à 1700 Ch.

Il atteindra 303 km/h le 23 décembre 1966 devant Olivier GUICHARD et André SEGALA, Président de la SNCF.

A la même époque, la Direction Générale de la SNCF lance le projet C03, nom de code du projet « possibilités ferroviaires sur infrastructures nouvelles ». La genèse du TGV commençait.

Modifié une nouvelle fois à l’aide d’un réacteur de Fouga Magister, le 01 atteint 345 km/h le 1er novembre 1967.

Devant de tels résultats et des progrès aussi rapides, le Ministre des Transports, Monsieur Edgard PISANI, emet le désir de voir une relation s’établir entre Lyon-Bron et Grenoble, en vue des Jeux Olympiques.

L’étude rapidement menée déboucha sur un projet constitué par une ligne à voie unique de 86 km, parcourue en 30 minutes, à une vitesse de croisière de 200 km/h.

Malheureusement, les décisions du gouvernement n’ayant pas été prises à temps, il était devenu évident que la ligne ne pourrait être terminée à temps.

La première occasion pour l’AEROTRAIN de transporter de vrais voyageurs venait d’être manquée.

Néanmoins, les résultats fulgurants du 01 firent que Monsieur PISANI passa commande, le 18 décembre 1967, d’une voie d’essai de 18 km grandeur nature, pouvant être intégrée par la suite dans une ligne Paris Orléans.

Le contrat prévoyait un véhicule de 80 places pouvant assurer 250 km/h de vitesse de croisière sur une ligne prévue pour 400 !

Les travaux débutèrent rapidement et, en décembre 1968, 10 km de voie étaient déjà posés. La ligne de Gometz, quant à elle, verra encore un record battu. Par le prototype 02. Répondant à une commande de mars 1967, il était bien profilé, bi-place et propulsé par un réacteur Pratt & Whitney de 1250 kg de poussée.

Il atteignit les 300 km/h dès les premiers essais en mai 1968 et pulvérisa le record du 01 en atteignat 422 km/h, aidé par une fusée d’appoint, le 22 janvier 1969.

L’AEROTRAIN I-80 destiné à la base d’Orléans, est présenté au public le 7 juillet 1969 au Bourget.

Il est transporté quelques jours plus tard à la base d’Orléans.

La mise sur voie est effectuée le 10 septembre, le 12, il atteint 200 km/h et le 13, 250 km/h. C’était là la vitesse maximum qu’il pouvait atteindre avec l’hélice carênée entrainée par deux turbines de 2200 Ch qui l’équipaient. Les progrès allaient aussi vite que l’AEROTRAIN.

C’est le 13 novembre 1969 qu’il fait la démonstration de clôture des essais préliminaires devant le Ministre des Transports et le Délégué chargé du Plan et de l’Aménagement du Territoire.

En octobre 1973, il est modifié pour les très hautes vitesses, recevant un turbo-réacteur d’avion de ligne. Très vite, il atteint 400 km/h.

Si vous aviez compté parmi les 2900 personnes qu’il transporta à plus de 350 km/h durant ses nombreux essais, vous auriez été certainement surpris de n’avoir pas plus de problème pour faire votre courrier à son bord qu’à votre bureau.

Quant aux cinéastes qui filmaient les essais, ils le faisaient sans appui, dans la cabine, la voie défilant devant eux à 110 m/s.

Le record mondial de vitesse pour véhicule terrestre à coussin d’air est battu le 5 mars 1974 avec une vitesse moyenne de 417,6 km/h pour une pointe à 430 km/h, démontrant ainsi la viabilité du concept.

Il faut toutefois noter que ces vitesses ne sont commercialement parlant, pas concurentielles ; ceci étant vrai pour tous les modes de transport. En effet, pour passer de 200 à 400 km/h, il faut quadrupler la poussée pour vaincre la résistance de l’air et disposer d’une puissance 8 fois plus élevée.

Monsieur BERTIN concluera très tôt qu’une vitesse économiquement raisonnable ne devait pas dépasser 350 km/h.

Devant des résultats aussi fulgurants, plusieurs relations furent envisagées.

Citons Paris-Orléans, Paris-Lyon, Orly-Etoile, Bruxelles-Genève par le Luxembourg et Bâle, Calais-Fourmies par Dunkerque et Maubeuge, Aix en Provence-Marseille, Orly-Roissy, La Défense-Cergy Pontoise. Ces deux dernières ayant été très proches de leur réalisation. La première devait relier Orly à Roissy en passant par Joinville le Pont, sur une distance de 56 km, parcourus en seulement 20 minutes. Orly était alors à 14 minutes de l’Opéra par connexion au RER. Cette réalisation qui manquera par la suite est mise de côté pour réaliser La Défense-Cergy.

L’étude fut une fois de plus menée rapidement, laissant le choix de plusieurs modes de propulsion.

Le contrat fut enfin signé le 21 juin 1974, et l’AEROTRAIN allait pouvoir prouver ses capacités et constituer ainsi une vitrine de l’innovation française.

Mais le 17 juillet, le gouvernement fit savoir qu’il ne voulait plus construire la ligne.

Toutes ces années de recherches, d’essais, de réussites furent réduites à néant. Quelques autres tentatives de mise en service de l’AEROTRAIN furent faites, mais l’annonce, en septembre 1975 de la mise en service du TGV sur Paris-Lyon donna le coup de grâce. Jean BERTIN, épuisé de toutes ces années de travail, disparaît le 21 décembre 1975.

Son œuvre, quant à elle est toujours là.

Enfermés dans leurs hangars, quelquefois vandalisés, les différents modèles d’AEROTRAIN sont victimes des assauts du temps et des visiteurs irrespectueux.

Malgré ces 13 années de sommeil, le concept AEROTRAIN n’a pas pris une seule ride.

Les qualités mises en évidence durant les essais sont toujours d’actualité : économie, rapidité, grande fréquence, préservation de l’environnement et confort.

L’ouverture de l’Europe en 1992 serait peut-être l’occasion de reconnaître que Monsieur BERTIN était sur la bonne voie dès 1962, en envisageant d’équiper la Communauté Européenne d’un mode de transport vraiment nouveau.